VIII
APPAREILLAGE CLANDESTIN

Les trois chevaux quittèrent le chemin et s’engagèrent sur une lande de bruyère qui étouffait le claquement de leurs sabots ; l’herbe était encore tout emperlée de la pluie nocturne.

Bolitho poussa son cheval des genoux et regarda les arbres, les quelques fermes qui apparaissaient avec le lever du soleil. Les détails surgissaient l’un après l’autre, comme le matin où ils avaient aperçu le bateau de pêcheur traqué par les chasse-marée français.

Le Wakeful avait jeté l’ancre avant l’aube ; moins d’une heure plus tard, Bolitho était en selle, suivi de près par le jeune Matthew. Ils étaient venus directement jusque-là.

Dans le soleil matinal, il vit le dragon à cheval s’arrêter pour les attendre ; son uniforme écarlate et sa cartouchière blanche ressortaient vivement entre les arbres d’un vert intense.

Le dragon les avait attendus toute la nuit, prêt à les escorter dès l’arrivée du Wakeful. L’aide de camp du commodore avait envoyé une convocation, mais Bolitho n’avait pas reçu le moindre éclaircissement sur la raison pour laquelle on l’attendait ; Hoblyn, semblait-il, était de nouveau parti visiter des chantiers.

Derrière Bolitho, le jeune garçon bâilla bruyamment ; il dormait presque, assommé par ce tourbillon d’événements ; manifestement, il n’était pas fâché de retrouver la terre ferme.

— On s’ra bientôt rendus, Monsieur ! lança le dragon.

Il regarda curieusement Bolitho :

— Est-ce que j’irais trop vite pour vous, des fois ?

— Je suis de Cornouailles, riposta Bolitho d’un ton cinglant, inhabituel chez lui. Je sais monter à cheval.

Le dragon se retint de sourire :

— Moi, Monsieur, j’suis de Portsmouth. Et j’y connais rien en bateaux !

Il éperonna son cheval qui prit le trot. Bolitho remarqua que le cavalier portait sa courte carabine réglementaire en travers de la selle, comme un tirailleur en territoire ennemi. Cette précaution lui parut étrange en des lieux aussi pacifiques.

Bolitho était obsédé par le souvenir de la jeune morte. Il n’avait que ce seul indice en sa possession, et il ne savait toujours pas comment l’exploiter. Il revoyait le masque de souffrance sur le visage figé dans la mort, l’expression de terreur qui avait marqué la jeune fille au moment où elle avait compris qu’il ne lui restait que quelques secondes à vivre. Il sentait toujours sur sa paume le contact glacé de sa cheville. Viola… A qui pouvait-il se fier ? Qui le croirait ? Pire, qui voudrait le croire ?

— On y est, Monsieur.

Bolitho s’étonna : ils avaient pris le galop dans une futaie bien dégagée. Ils parvinrent à une clairière presque circulaire au centre de laquelle se dressait une souche calcinée. Le rendez-vous idéal pour un duel, songea-t-il sombrement.

Entre les arbres se découpaient des silhouettes en uniforme, on entendait parfois le coup de fouet nerveux d’un cheval remuant la queue-un endroit sinistre, dangereux peut-être.

Un officier avait pris place sur un petit tabouret, son ordonnance debout à ses côtés, attentif. Il buvait dans une chope d’argent quand il aperçut Bolitho ; il remit le récipient à l’ordonnance et se leva.

L’uniforme, quoique bien coupé, ne parvenait pas à cacher un léger embonpoint. Un homme qui vivait bien, se dit Bolitho, en dépit de ses charges. L’officier souleva son chapeau avec un sourire :

— Major Philip Craven, du 30ème régiment de dragons.

Il s’inclina.

— Que diriez-vous d’une chope ?

Le ton était agréable, détendu ; Bolitho ne s’était pas attendu à trouver un officier si jeune, mais il nota que, malgré sa bonhomie, son interlocuteur avait l’air sur le qui-vive : il ne cessait de surveiller ses hommes, leurs chevaux et le chemin qu’ils empruntaient.

— Avec plaisir, répondit Bolitho.

Il s’était surpris lui-même : il ne se sentait pas toujours très à son aise en compagnie d’officiers de l’armée, fantassins ou cavaliers.

L’ordonnance entreprit de fouiller dans un panier posé à même le sol. Bolitho nota aussi la présence de deux officiers de marine : un lieutenant et un grand aspirant au visage livide.

— Deux officiers du racolage, déclara le major avec un geste du bras.

Bolitho prit la chope qu’on lui présentait et constata avec soulagement qu’il ne tremblait pas. « Est-ce que c’était Allday ? »

— Vous m’avez fait demander ? fit-il.

— J’ai entendu parler de vos-euh – exploits, bien entendu. En l’absence du commodore, j’essaie de tenir la Marine et les autorités civiles au courant de la situation.

Il fronça les sourcils :

— Bon Dieu ! il y a des jours où on se croirait dans une armée d’occupation.

Il ordonna d’un signe à son ordonnance de remplir les chopes et poursuivit :

— Un marin a été assassiné ici cette nuit. Il essayait de rattraper un homme qui leur avait échappé.

Bolitho supa son vin. Un bordeaux hors de prix, pensa-t-il.

— L’aspirant, expliquait le major, était présent lui aussi. Mais ils ont été assaillis par une troupe nombreuse. Et son marin s’est fait tuer.

Il s’avança à pas lents jusqu’à un coin de la clairière où l’herbe était foulée :

— C’est exactement ici que l’on a trouvé sa main coupée, elle tenait encore son pistolet. Il venait de faire feu. Il a peut-être touché un brigand. Mais les empreintes ne nous donnent aucune garantie de ce côté-là. Par le Dieu tout-puissant, ajouta-t-il avec humeur, ils commencent à avoir l’habitude de tout cela, croyez-moi ! Mais nous n’avons rien trouvé. D’ailleurs, le contraire m’aurait étonné.

Il interrogea les arbres d’un coup d’œil circulaire et reprit :

— Je vois bien ce que vous en pensez. L’endroit a mauvaise réputation, plus personne n’y vient. Sauf, corrigea-t-il avec une lueur soudaine dans les yeux, sauf une voiture qui est passée ici tout récemment. Mais nous avons perdu sa trace à l’orée du boqueteau.

— Un notable de la région, peut-être ?

Le major lui lança un regard entendu :

— J’ai ma petite idée là-dessus, mais que puis-je faire ? Dans un an peut-être, je recevrai l’ordre d’emmener mes dragons – il indiqua vaguement la mer – à la rencontre de l’envahisseur français pour protéger des menteurs, des tricheurs, des gens qui assassinent quiconque se met en travers de leur route !

— La situation est vraiment aussi mauvaise ?

Le major sourit :

— Mon colonel serait enchanté, à l’occasion, de vous raconter ce qui lui est arrivé à Thanet. Il n’était alors que capitaine. Il avait reçu l’ordre de faire mouvement en direction de Deal, à la tête d’une troupe de cinquante dragons, pour réduire une bande de contrebandiers et brûler leurs bateaux.

Son expression se fit plus dure, comme s’il s’imaginait à la place de son chef :

— Les voilà pris à partie par une bande armée de plus d’un millier d’hommes, et bientôt cernés. Par une chance inouïe, le 38ème de chasseurs à pied est arrivé à marche forcée de Canterbury pour leur prêter main-forte. Ils tombaient à pic. Sans eux, les hommes du colonel auraient été taillés en pièces. Je suis soldat. Comme vous, j’ai déjà vu des choses pas très belles. Mais ce genre de travail me dégoûte.

Bolitho voyait le jeune Matthew traîner les chevaux par la bride en direction des arbres ; un dragon l’arrêta en levant le bras et secouant la tête.

— Personne ne vient plus ici, dites-vous ? Et pourquoi ?

Le major haussa les épaules :

— Vous voyez cet arbre calciné ? Un jour, une bande de contrebandiers a surpris un traître d’un village voisin. L’homme les espionnait, et il y a apparence que tout le monde le savait. On disait qu’il avait vendu des renseignements à des agents du fisc, et même à l’armée.

— Ils l’ont tué ? demanda Bolitho en enveloppant toute la clairière d’un regard.

— Non. Ils ont mis le feu à cet arbre. Et ils lui ont crevé les yeux avec des tisons. Un avertissement pour les autres… Comme si c’était nécessaire !

Bolitho sentait sa chemise humide lui coller au corps.

— Merci de me faire part de tout cela.

D’un signe, il appela les deux officiers de marine qui les regardaient.

— Je n’en ai pas pour longtemps.

— Je ne demande qu’à me battre à visage découvert, insista le major en souriant. Mais ici, je préférerais qu’ils fassent donner l’infanterie !

Le lieutenant salua en portant la main à son bicorne. Il était à la tête d’une escouade de racoleurs, expliqua-t-il, et il avait donné ordre à son aspirant d’escorter des prisonniers jusqu’à Sheerness… Bolitho l’interrompit sèchement :

— Je m’occuperai de ce point précis tout à l’heure.

A l’évidence, le lieutenant cherchait à faire peser sur les épaules de son subordonné la responsabilité du fiasco.

— Qui êtes-vous ? demanda Bolitho à l’aspirant au visage blême, qui pâlit encore. Que s’est-il passé ? Donnez-moi des détails.

— Aspirant Fenwick, Monsieur, répondit-il en fuyant le regard de Bolitho. Je… J’avais fait halte avec mon groupe dans une petite auberge, comme il est d’usage, Monsieur. Au moment de ma ronde, j’ai constaté qu’un des hommes qui m’étaient confiés s’était enfui. Faute de temps pour alerter la garde, j’ai décidé de le poursuivre moi-même avec…

Il jetait des regards égarés sur l’herbe piétinée :

— Nous étions à vingt contre un, il y en avait partout…

— Il faisait nuit, commandant Bolitho, précisa doucement le major.

— Je vois.

Bolitho considéra les mains de l’aspirant, dont les doigts s’ouvraient et se refermaient nerveusement. Avait-il affaire à un vieillard ou à un jeune officier en début de carrière ? D’ailleurs celui-là aurait dû être promu lieutenant depuis longtemps. Avait-il raté l’examen ? Il avait encore toutes ses chances, alors que pour d’autres, tout était fini.

— Qui est l’homme qui s’est échappé ? demanda Bolitho.

— Un… Un voilier, Monsieur. Nous l’avions isolé des autres parce que…

Sa voix se brisa, puis il s’exclama :

— J’ai fait de mon mieux, Monsieur !

Le lieutenant le coupa en regardant Bolitho :

— C’était justement la bêtise à ne pas faire, Monsieur. Le seul marin qualifié sur lequel nous ayons pu mettre la main : un déserteur du London. Et cet imbécile le laisse échapper !

— Je vous en prie, dit Bolitho. Taisez-vous.

Et tourné derechef vers l’aspirant :

— Pouvez-vous vous souvenir du nom de ce voilier ?

Il avait posé la question à tout hasard, comme devinant qu’il y avait anguille sous roche. L’aspirant avait l’air de cacher quelque chose ; il s’était peut-être enfui, laissant le marin se faire massacrer seul. Le remords le poursuivrait jusqu’à son dernier soupir.

L’aspirant plissa les yeux :

— Je… Je…

Puis il hocha la tête :

— Oui, Monsieur. Spencer. Ça me revient, maintenant.

— Il doit déjà être en mer, intervint le major. Sur quelque navire de contrebandiers.

Bolitho se détourna : il ne voulait pas montrer ses sentiments. Il s’éloigna de quelques pas, sentant qu’ils le suivaient des yeux. Allday ne savait ni lire ni écrire, mais il aimait les animaux, et tout particulièrement le vieux chien de berger qu’il gardait dans la grande maison grise de Falmouth. Un vieux chien baptisé Spencer. Pivotant sur ses talons, il interpella le lieutenant :

— Mettez-moi cet aspirant aux arrêts simples, et restez avec lui à l’arsenal jusqu’à la conclusion de l’enquête.

Le lieutenant parut consterné, Fenwick ne put retenir un haut-le-corps. Bolitho refusa d’y prêter attention. S’ils étaient compromis, mieux valait les garder sous la main. De toute façon, ils risquaient gros : soit la cour martiale et la pendaison en bout de vergue, soit-il regarda une fois de plus la souche calcinée – bien pire si leurs complices découvraient qu’ils avaient été démasqués.

Le major l’accompagna jusqu’aux chevaux.

— Bravo ! fit-il d’un ton admiratif.

Bolitho le remercia d’un coup d’œil et sourit brièvement. Si le major connaissait les vraies raisons de son succès, peut-être aurait-il moins envie d’applaudir. Il leva sa botte jusqu’à l’étrier et vit que le jeune Matthew le regardait, déjà en selle.

Allday était vivant. Une fois de plus, il risquait sa vie pour lui. Il avait de la peine à parler d’une voix normale :

— A présent, Major, je vais me rendre à la résidence du commodore. Il est peut-être de retour.

— Dans ce cas, je vous escorte, Monsieur.

Le major n’était pas fâché de quitter ces lieux.

Tandis qu’ils sortaient du couvert pour rejoindre un soleil bienvenu, les dragons s’alignaient en rangs par deux derrière leur officier. Bolitho se retourna sur sa selle, embrassant d’un dernier coup d’œil le sinistre boqueteau. Des freux tournaient en cercles au-dessus des arbres, brisant le silence de leurs appels rauques, sarcastiques. Oui, les gens devaient, éviter cet endroit, et cela n’avait rien d’étonnant.

Il serra les mâchoires, pensant de nouveau au visage de la jeune Française morte.

Avait-elle péri lors de l’explosion du bateau de pêche ? D’instinct, il écartait cette hypothèse : il revoyait la petite embarcation s’éloigner à force d’avirons avant que tout ne fût détruit. Ces hommes si pressés de quitter leur bord devaient y avoir enfermé la fille avant d’allumer une mèche. Tout cela avait été prévu à l’avance, en cas d’arraisonnement par une patrouille de navires français.

Ce bateau n’avait peut-être à son bord qu’une poignée de fugitifs épouvantés. Ils devaient avoir été des centaines à fuir la Terreur, à vendre tous leurs biens, et même leurs propres personnes, en échange d’une possibilité de fuir.

Des contrebandiers ? Des esclavagistes, plutôt. Et encore, le terme était trop doux.

Le Wakeful avait été le seul témoin de leur forfait ; à présent, à cause de cela, un double risque pesait sur la vie d’Allday.

Bolitho attendit que le major eût galopé jusqu’à sa hauteur :

— Cet homme dont vous parliez…

Il le regarda droit dans les yeux.

— Est-il toujours vivant ?

Le dragon hocha la tête sans cesser de surveiller les haies qui bordaient leur chemin :

— Il est devenu fou. Les gens le nourrissent : charité chrétienne. Mais en prenant bien garde de se cacher. Je soupçonne même mes hommes de lui jeter leurs restes. Mieux vaudrait pour lui qu’il fût mort. En attendant il vit, et il leur rappelle la façon dont seront traités ceux qui trahissent la Confrérie.

— Pourriez-vous me le retrouver ? demanda Bolitho.

Il lut la surprise dans le regard du major.

— C’est une piste minuscule, insista Bolitho, mais je ne puis en négliger aucune. Pas même la plus ténue.

— Je peux essayer…

Il jeta un coup d’œil au profil de Bolitho :

— Vous pouvez compter sur moi pour cette affaire, Monsieur. Moi aussi, je suis fatigué d’attendre.

Bolitho tendit le bras et étreignit la main gantée de l’officier :

— A la bonne heure !

En dépit de la douceur de l’air, il eut un frisson. Le temps de la prudence était fini.

 

A l’exception des habituels fusiliers marins postés en sentinelle, la résidence du commodore semblait déserte. Bolitho interrogea le caporal de la garde. Puis il dit :

— Il est de retour.

L’ordonnance du major Craven et le jeune Matthew descendirent de cheval pour retenir leurs montures par la bride. Bolitho remarqua que les autres dragons ne mettaient pas pied à terre ; ils attendaient sur la route, devant l’entrée.

Les portes de la maison s’ouvrirent sans bruit ; Bolitho reconnut le valet de pied personnel de Hoblyn :

— Je dois voir le commodore.

Le jeune homme eut un regard lointain, comme s’il se disposait à nier le retour de Hoblyn. Ses yeux noisette s’écarquillèrent d’inquiétude à la vue du détachement de cavalerie. Enfin il se décida :

— Je vais vous conduire.

Il s’effaça pour les laisser entrer, puis les précéda jusqu’à la bibliothèque.

— On dirait un sépulcre, observa le major avec une grimace. Il manque la main d’une femme, ici.

Le commodore, qui était assis à son énorme bureau, ne fit même pas mine de se lever à leur arrivée.

— Qu’y a-t-il de si pressé ? dit-il d’un ton saccadé. J’ai beaucoup de travail. Les journées sont trop courtes.

— Je vous ai transmis mon rapport, commença Bolitho.

— Vraiment ?

Hoblyn gratifia le major d’un regard glacial :

— Vous aussi, vous désirez me voir ?

— Le commandant Bolitho, repartit Craven sans se démonter, estime que cela vaudrait mieux pour nous tous.

— Je vois.

Hoblyn leur désigna deux fauteuils et rangea quelques papiers sur son bureau :

— Ah oui ! Votre rapport… Je l’ai feuilleté… Je me souviens maintenant : le bateau de pêche et les deux chasse-marée français.

Il leva brusquement, la tête, ses yeux se firent plus durs :

— Vous avez confondu vitesse et précipitation, Bolitho. Les Français soutiendront que vous avez violé leurs eaux territoriales. Que cela soit vrai ou non, ils ne manqueront pas de monter cet incident en épingle pour mettre la paix en danger, une paix que Sa Majesté s’efforce de sauvegarder. Elle ne souhaite en rien contrarier les Français, malgré ce qui se passe chez eux.

— J’aurais imaginé, répliqua Bolitho, que Sa Majesté souhaitait encore davantage garder la tête sur les épaules !

— Vous êtes insolent ! coupa Hoblyn. De toute façon, qu’avons-nous à faire d’un simple bateau de pêche ? N’avez-vous donc rien d’autre pour exercer vos talents ?

Il s’échauffait rapidement. Sa main estropiée frappait, le bureau en cadence, soulignant chacune de ses phrases.

— Je suis convaincu, insista Bolitho, qu’ils cherchaient à faire traverser clandestinement la Manche à des émigrés, Monsieur. Ils avaient embarqué une cargaison de chair humaine, sans souci des conséquences.

Quand il en vint au cas de la jeune fille, il vit un éclair d’anxiété traverser les yeux du commodore. Hoblyn lui coupa la parole :

— Mais qui pourra témoigner, Bolitho, dans un sens ou dans l’autre ? C’est votre version. Et je crains que votre parole ne pèse pas lourd devant l’Amirauté.

Il se pencha en avant et le fixa ; il ignorait la présence du major, ou il l’avait oubliée :

— Ils vous casseront les reins si vous persistez dans votre obsession. Vous êtes bien placé pour savoir qu’il y a à Londres des centaines de commandants qui seraient trop heureux de prendre votre place.

Bolitho refusa de lâcher prise :

— Je ne puis croire que vous soyez prêt à tolérer une activité criminelle d’envergure sous prétexte de ne pas déplaire au gouvernement français. Si c’est le cas, alors je me retire. Je rentre à Londres, remettre ma démission.

En changeant de position sur son siège, le major fit grincer ses bottes. Bolitho s’étonna de pouvoir entendre ce faible bruit tant son cœur lui semblait battre fort. Hoblyn se tamponna le front avec un mouchoir :

— Eh ! comme vous y allez ! Pas de vagues, Bolitho, pas de vagues !

— Je vous demande, Monsieur, ajouta simplement Bolitho, je dirais même… je vous conjure de renoncer à la fausse sécurité de votre poste et de jeter dans la balance tout le poids de votre influence pour faire évoluer les choses. J’ai l’impression que tout le monde est contre nous, ici. Et que les contrebandiers s’amusent de nos tentatives pour leur faire mordre la poussière.

Hoblyn baissa les yeux sur son bureau :

— Quelle fougue, Bolitho ! Et quel manque de confiance dans vos supérieurs !

— Ai-je des raisons d’avoir confiance, Monsieur ?

Hoblyn semblait la proie d’un affrontement intérieur :

— Vous êtes vraiment décidé à vous fourrer dans un guêpier inextricable ?

— Je n’ai pas le choix, Monsieur. En revanche, il me faut des appuis.

— Oui.

Hoblyn eut un mouvement de l’épaule, comme pour chercher une position moins douloureuse :

— Vous avez sûrement raison. Il y a un lien entre les contrebandiers et les révolutionnaires français. Il est non moins vrai que le premier ministre a vivement recommandé des décisions énergiques à l’endroit de ces hors-la-loi.

Il conclut avec amertume :

— Mais les vœux pieux de William Pitt n’ont pas été concrétisés par des budgets suffisants pour mettre en place une vraie prévention.

— C’est toujours aux dragons que l’on fait appel, murmura le major Craven.

Hoblyn eut un profond soupir :

— Je vais envoyer une dépêche à l’Amirauté, Bolitho. Naturellement, la décision en revient à Leurs Seigneuries, mais je ne manquerai pas de recommander une politique plus agressive.

— Merci, Monsieur, répondit Bolitho.

Il espérait que sa voix ne trahissait pas sa surprise : une volte-face trop rapide, trop facile. Cet homme était un jour monté à l’abordage d’un pirate ennemi avec ses vêtements en feu.

Hoblyn joignit les extrémités de ses doigts et le regarda, impassible :

— Emmenez vos trois cotres à Sheerness.

— Ils y sont déjà, Monsieur. Le Snapdragon a quitté Chatham pendant mon absence.

Hoblyn eut un mince sourire :

— Tâchez de garder un coche d’avance sur les événements, Bolitho. J’en connais qui préféreraient vous savoir mort que vif. Et un conseil : installez-vous à terre dès que la prudence le permettra. Je mettrai à votre disposition un logement à l’intérieur de l’arsenal de Sheerness. Ce sera plus sûr pour vous.

La porte s’ouvrit en silence. Le svelte valet de pied les regardait du vestibule : on eût dit qu’il avait lu dans les pensées de son maître.

— Jules va vous reconduire, Messieurs.

Bolitho et le major se levèrent : pas de bordeaux, aujourd’hui.

— Prévenez-moi à l’avance, avertit Hoblyn, de toutes vos initiatives.

Il les fixa tous deux pendant plusieurs secondes :

— Et retenez bien une chose : je n’ai pas l’intention de me laisser limoger à cause de vos ambitions personnelles.

L’entretien était terminé.

Dehors, tandis qu’ils remontaient l’allée pavée, Bolitho observa sombrement :

— Je suis perplexe. Je me demande si c’est une victoire ou un revers.

Le soldat fronça les sourcils :

— Cela vaut mille fois mieux que de rester les bras croisés. Il est grand temps que les autorités comprennent la position où nous sommes. Vous avez besoin d’hommes pour la flotte.

Bolitho vit le jeune Matthew qui leur amenait les chevaux.

— Si, et seulement si, la flotte est réarmée à temps !

— En tous cas, vous n’obtiendrez pas vos hommes tant que la Confrérie n’aura pas été dissoute, et détruit son pouvoir sur le peuple.

Le major sauta en selle :

— Je suis avec vous.

Bolitho sourit :

— N’oubliez pas ce que je vous ai demandé.

Ce rappel amusa l’officier :

— Je vous l’ai dit : je vais essayer.

Sur ces mots, il s’élança, saluant les sentinelles, au passage du portail, d’un geste de la main à son chapeau. Et il rejoignit ses hommes sur la route.

Un bon officier, songea Bolitho. Quelque chose lui disait qu’il pouvait se fier à lui.

De retour à l’arsenal, ils confièrent leurs chevaux à un fusilier marin et s’avancèrent à pied jusqu’à une jetée où étaient amarrées des embarcations.

Bolitho s’attarda un moment à contempler les trois cotres au mouillage et leurs reflets dans l’eau : ils étaient aussi gracieux que des oiseaux de mer. Ma petite nichée ! Cela aussi lui rappelait Allday.

— Au Télémaque, lança-t-il à un passeur.

Tandis que le canot zigzaguait lentement entre les navires au mouillage, Bolitho aperçut l’éclair d’une lorgnette au-dessus de la lisse de couronnement du Wakeful – Très probablement Queely, qui observait sa progression : croyait-il être débarrassé de lui ?

Paice l’accueillit à la coupée du Télémaque et le salua de façon réglementaire ; Bolitho fut surpris de le voir manifester du plaisir :

— Je n’étais pas certain que vous reviendriez à mon bord, Monsieur, dit-il en souriant. Vous êtes le bienvenu.

D’un geste de sa grosse main, il désigna les matelots qui s’activaient sur le pont :

— Vous aviez raison, Monsieur, ils se sont retroussé les manches, tous ensemble. Les voilà pratiquement remis, et le bateau en état.

Bolitho approuva de la tête : presque rien n’était plus visible de leurs avaries, mais une forte odeur de goudron et de peinture régnait sur le pont.

Il croisa les regards de quelques matelots qui le saluèrent gauchement avant de retourner à leur besogne ; c’était comme rentrer chez soi.

— Pas de nouvelles de votre patron d’embarcation, continua Paice, de nouveau sérieux.

— Que savez-vous exactement ? demanda Bolitho en le regardant bien en face.

— Officiellement, je sais seulement que vous l’avez envoyé en mission.

Et il ajouta avec un regard en direction de ses hommes :

— Mais les murs ont des oreilles. Plus longtemps il s’absente…

Il ne termina pas sa phrase.

— Je sais, répondit Bolitho en lui touchant le bras. Restons-en là. Faites-le pour lui sinon pour moi.

Il observa un instant les quais tranquilles, le beau soleil, la paix.

— Je vais rédiger de nouveaux ordres à votre intention.

Il se détourna. De nouveau leurs regards se croisèrent.

— C’est vous qui me succéderez s’il m’arrive quelque chose.

Le plaisir et l’angoisse se mêlèrent sur le dur visage de Paice :

— Ils n’oseraient pas faire cela, Monsieur !

Bolitho avisa les trois cotres :

— Je puis être destitué sur une simple lubie d’un gratte-papier de l’Amirauté. Ou encore tomber au combat. C’est notre destin de marins, monsieur Paice. Tenez-vous prêt à toute éventualité.

Paice l’accompagna jusqu’à la descente :

— Juste ciel, Monsieur ! Votre présence a transformé mon équipage, et celui des deux autres cotres. La prochaine fois, vous pourrez compter sur nous.

Bolitho referma derrière lui la porte de la cabine et regarda par la claire-voie ouverte : Hoblyn faisait-il réellement partie d’une conspiration, ou désirait-il surtout ne pas s’attirer d’ennuis ? Songeant au gracieux valet de pied, il eut une grimace : Jules. Ce nom lui allait bien.

Il avait oublié le moment où il s’était endormi quand il se réveilla le front sur le bras, tenant encore entre ses doigts la plume avec laquelle il avait signé les ordres de Paice.

Ce dernier était assis en face de lui sur un coffre de marin, apparemment indécis :

— Je parie, Monsieur, dit-il d’un ton accusateur, que vous n’avez pas fermé l’œil depuis quarante-huit heures. Navré de devoir vous réveiller, mais…

Bolitho vit que Paice tenait une enveloppe scellée à la cire et tous ses sens furent en alerte. Depuis l’âge de douze ans, son esprit et son corps s’étaient endurcis : il avait connu des années de quart par tous les temps, des heures d’inquiétude quand on est réveillé d’urgence pour aller prendre des ris en pleine tempête ou pour repousser l’ennemi qui monte à l’abordage. Telle était la vie qu’il avait menée, la seule qu’il connût.

— Qu’est-ce que c’est ?

Il déchira l’enveloppe et commença par lire la signature au bas de la lettre. Le major Craven. Ecriture nette, élégante, comme son auteur. Bolitho parcourut deux fois la missive avec attention, tout en prenant conscience que les mouvements du cotre s’étaient peu à peu amplifiés depuis l’instant où il s’était endormi. Il se rendit compte également que Paice retenait son souffle.

Levant les yeux, il découvrit une lueur d’intérêt dans ceux du lieutenant :

— Où se trouve la vieille abbaye ?

Sans poser de question, Paice sortit une carte d’un tiroir et posa son doigt épais sur un point de la côte :

— Ici, Monsieur. A trois nautiques environ, dans l’est. Un endroit passablement isolé et sinistre, si vous voulez mon avis.

Bolitho repéra le point sur la carte et acquiesça : l’endroit idéal pour un rendez-vous. Craven lui faisait observer qu’il ne pouvait s’y rendre par la route sans attirer l’attention ; la nouvelle allait se répandre comme une traînée de poudre : l’encombrant commandant de Cornouailles était une fois de plus de sortie.

Restait l’accès par voie de mer : en secret, donc.

— Nous lèverons l’ancre avant le crépuscule, dit-il. Cap sur le Grand Nore.

Il prit un compas à pointes sèches en laiton et fit quelques reports dans le nord-est de Sheerness :

— A la nuit tombée, nous virerons de bord et atterrirons ici.

La pointe du compas se posa sur l’emplacement de la vieille abbaye :

— Personne ne doit nous voir : nous mouillerons à quelque distance du rivage.

Paice entreprit de se racler le menton avec la paume de la main :

— Pardonnez-moi, Monsieur, mais je n’y vois pas très clair. Avez-vous l’intention de débarquer une escouade de racoleurs ? Si c’est le cas…

Bolitho regarda la carte tout écornée :

— Non, j’ai un rendez-vous. Je n’ai besoin que d’un canot avec quelques nageurs. Et de quelqu’un qui connaisse ces eaux comme sa poche.

Paice répondit sans hésiter :

— Prenez le maître principal, Erasmus Chesshyre, Monsieur. Il pourrait vous débarquer là, même s’il était aveugle.

Bolitho lui lança un regard soupçonneux, mais la remarque de Paice était sans malice.

— J’aimerais vous accompagner, Monsieur.

— Non.

C’était sans appel :

— Rappelez-vous ce que je viens de vous dire. S’il m’arrive quelque chose…

— A vos ordres, soupira Paice. Je sais, Monsieur.

— Une dernière chose, monsieur Paice. Si je disparais, renvoyez le jeune Matthew à Falmouth, sous escorte si nécessaire.

— A vos ordres, Monsieur.

Paice se leva avec précaution et demeura courbé pour ne pas heurter les barrots de pont :

— Je vais avertir M. Triscott de préparer l’équipage du canot.

Il marqua une pose au moment de franchir la porte basse :

— Et je suis fier de servir sous vos ordres, Monsieur.

Ce sentiment parut l’embarrasser : il se hâta vers la descente, criant plusieurs noms d’une voix tonnante.

Bolitho sortit une feuille de papier blanche et décida d’écrire à sa sœur Nancy. S’il venait à tomber, son beau-frère, le châtelain, connu à Falmouth sous le nom de roi de Cornouailles, se hâterait de faire main basse sur sa grande maison grise qui se dressait à l’ombre du château de Pendennis, là où avaient vécu tant de générations de Bolitho.

Cette pensée le troubla plus qu’il ne l’aurait imaginé. Les gens en auraient fini de voir les Bolitho revenir d’une traversée, on n’entendrait plus parler de Bolitho tués au combat dans quelque pays exotique…

Il revint un moment aux instructions de Craven. Puis, avec un triste sourire, il les présenta à la flamme de sa bougie ; bientôt, il n’en resta que quelques cendres.

Une ritournelle lui revint, que son père lui avait apprise, ainsi qu’à son frère Hugh, avant qu’ils ne quittent ensemble la même maison pour s’enrôler dans la Marine :

 

Ils ont surmonté leur peur, et leur fin glorieuse

Sera toujours un honneur pour leurs amis.

 

Des vers qui auraient pu être écrits à leur intention.

 

— Allez ouste ! Tout le monde descend !

Allday poussa un grognement et se retourna péniblement sur le côté ; quelqu’un lui guidait les pieds pour qu’il descende de la charrette. Ils avaient beau avoir confiance en lui, cela ne les empêchait pas de prendre leurs précautions, comme des fauves qui redoutent les sautes d’humeur d’un autre fauve. Il n’avait pas la moindre idée de la distance parcourue ; de cahot en ornière, la charrette avait roulé longtemps sur de mauvais chemins, et même un court moment à travers champs. Il était rompu jusqu’aux os ; une fois debout, il sentit qu’on lui déliait les mains et qu’on dénouait le bandeau qu’il avait sur les yeux.

Avec un sourire, un de ses gardiens lui tendit un sabre d’abordage :

— Ne te fâche pas, mon gars. Sous ce pavillon, on ne laisse rien au hasard, tu vois.

Allday hocha la tête et regarda autour de lui. L’aurore. Un nouveau jour. L’air était empli d’oiseaux et d’insectes. Ses narines se dilatèrent à une odeur pressante d’eau salée et de goudron, d’étoupe et de bois fraîchement scié – l’odeur d’un chantier de construction navale.

On le poussa, plus qu’on ne le conduisit, dans un long hangar qu’occupait sur toute sa longueur une cale de mise à l’eau. L’extrémité basse en était fermée par un auvent de toile grossière. De là, les bateaux neufs ou radoubés pouvaient être lancés directement.

Allday cligna des yeux. Une vingtaine d’hommes, ou davantage, étaient assis à de longues tables. Ils enfournaient d’énormes bouchées de nourriture et vidaient des moques de bière comme s’ils avaient passé là toute la nuit. Ils levèrent la tête quand le gardien déclara brusquement :

— Voici Spencer, un voilier. Vous n’avez pas besoin d’en savoir plus sur lui. Donnez-lui à bouffer.

Allday enjamba un banc et regarda pensivement ses compagnons. Un groupe disparate. D’honnêtes marins, pour certains, et quelques coquins de tous acabits.

Le hangar n’avait pas de fenêtre. Quand les yeux d’Allday se furent accoutumés à la pénombre, il comprit que l’homme avec qui il avait voyagé en charrette était précisément celui qui avait tranché la main du marin ; à le voir éclater de rire et échanger de bons mots avec ses camarades, on eût dit qu’il avait la conscience parfaitement en paix.

Allday prit une moque de bière et grogna un remerciement ; le plus sage était d’en dire le moins possible.

La bière n’avait pas de goût, mais elle était passablement forte pour qui avait l’estomac vide. Il se sentit mieux après une bonne rasade.

Un pas de plus de franchi. Circonspect, il observait ses nouveaux compagnons. Des déserteurs, sans doute, pour la plupart. A en juger par la façon dont leurs « sauveteurs » les traitaient, tous étaient tombés d’une captivité dans une autre.

Il se pencha au-dessus de la table et demanda, désinvolte :

— Et maintenant, on fait quoi ?

Son voisin lui lança un regard soupçonneux :

— On attend, tu vois pas ? On va embarquer.

Allday lui en imposait. Il hocha la tête, rassuré.

— Bientôt, on sera riches à crever !

Allday continua de boire sa bière à longs traits. Ou crevés tout court, songea-t-il sombrement. Observant à nouveau le hangar, il conclut qu’il devait être bien gardé. Tout cela était fort simple : un chantier naval, c’était bien le dernier endroit où l’on se serait attendu à trouver de bons matelots en fuite. Mais où était-il situé ? S’il ne pouvait le découvrir, tous les risques qu’il venait de prendre perdaient leur sens : ce serait la première question que lui poserait le commandant…

Il se raidit en entendant une voix sonore :

— Je vous préviendrai quand moi je serai prêt. Obéissez, un point, c’est tout, bande de propres à rien.

Allday, levant lentement la tête, jeta un coup d’œil sur deux hommes plongés dans une grande conversation.

La lumière du soleil était plus forte, à présent. On apercevait nettement une coque en cours de construction au milieu d’un tas de planches et de copeaux. Derrière, se dressait une rangée d’arbres élevés. Cette voix tranchante, agressive, il était sûr de l’avoir déjà entendue. Qui cela pouvait-il être ?

Il y eut de vagues excuses bafouillées, puis quelqu’un entra en écartant la toile comme un rideau. Allday retint son souffle : les yeux noirs de l’homme fixaient l’une après l’autre les silhouettes apathiques regroupées autour des tables.

— Eh bien ! déclara-t-il, j’espère qu’ils auront un peu plus de nerf que leurs prédécesseurs !

Quand Allday osa relever la tête, la toile était retombée. « Il ne m’a pas vu ! » Il poussa un long soupir de soulagement.

Henry Délavai, le capitaine du Loyal Chieftain… Bolitho n’avait pas besoin d’en savoir plus.

Allday, pour sa part, entendait encore un certain cri ; il se rappelait un pistolet fumant dans une main coupée.

 

Toutes voiles dehors
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